Jean Grillon – Sous-Préfet de Verdun – 1914-1918 – Partie 4

Mon Collégue de Briey (1914-1915)

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Le 19 août [Ndlr 1914], M. Magre, Sous-Préfet de Briey, arrive à Étain dans une auto que conduit M. Winsbach, pharmacien à Briey. Il apporte le courrier et signale à l’État-Major la présence d’une patrouille de Uhlan dans le chef lieu de son arrondissement.

Des chasseurs à cheval et à pied tendent une embuscade ; 6 Uhlans sont faits prisonniers, mais s’échappent. Winsbach et Magre sont dénoncés. De retour à Briey, Winsbach est saisi chez lui par des uhlans et, devant sa femme, en présence des siens, fusillé.

Magre, qui venait de rentrer à la Sous-Préfecture est informé de cet assassinat. Persuadé, non sans raison qu’il subirait le même sort, il fuit vers la route d’Étain où, heureusement il rencontre le docteur Stern, médecin de l’hôpital des Mines. Celui-ci, mis au courant, de l’événement qui vient de se dérouler, donne ordre à son chauffeur de conduire M. Magre à Étain.

M. le docteur Stern venait de partir lorsque surviennent les uhlans qui tirent, sans l’atteindre, sur l’automobile roulant à toute allure.

Le docteur Stern pris d’inquiétude et craignant d’être dénoncé à son tour, par le lendemain à vélo sur Verdun.

Arrivé à Étain, Magre me téléphone; je lui offre l’hospitalité. Il demeurera avec moi jusqu’au 28 janvier 1915, date de son départ pour Annemasse, où il organisera, pour le département de Meurthe-et-Moselle, la réception des habitants évacués des pays occupés ou libérés des geôles boches.

Les Nouvelles

À la mobilisation, les journaux locaux ont cessé de paraître; les grands organes de la capitale n’arrivent plus qu’irrégulièrement. Seul le communiqué affiché à la grille de la Sous-Préfecture, donne des nouvelles. A certaines heures il y a foule; le plus près fait la lecture à haute voix. Le 8 août, l’État-Major de la 3e Armée me fait part de l’entrée des troupes françaises à Mulhouse. Debout sur la grille, je communique la nouvelle; la foule entonne la Marseillaise.

De Verdun nous n’entendons que peu la voix du canon. Le 11 et le 12 on se bat sur l’Othain. Nous aurions un succès ; le 21e régiment de dragons allemand, surpris par notre 75. aurait été anéanti. On aurait fait de nombreux prisonniers.

Jusqu’au 16 août les comptes rendus du Grand Quartier Général, d’allure généralement favorable, et malgré le défaut de commentaires, suffisent à maintenir le moral des troupes. Cependant on ne cesse de réclamer des journaux….

M. Frémont, rédacteur en chef du « Républicain », organe socialiste de la Meuse, qui a cessé sa publication dans les derniers jours de Juillet, demande à l’État-Major l’autorisation de reparaître. Sa proposition jette un gros émoi.

Frémont était avant guerre l’enfant terrible. Aux dernières élections il avait mis, dans le même sac, réactionnaires et radicaux. Sa plume cinglante avait pris à partie officiers, prêtres, bourgeois. M. Noël, Député, avait été particulièrement malmené.

Et voilà que M. Frémont avait la prétention de publier, dans un camp retranc, en état de siège, placé sous la férule militaire, son journal socialiste! M. Noël consulté, s’indigne ; il veut s’y opposer. Je m’entretiens de l’affaire avec le Général Coutenceau qui, plus habile, donna l’autorisation demandée sous la condition que M. Frémont publiera seulement des nouvelles officielles et que toute sa copie sera soumise à la censure.

Le journal « le Républicain », organe socialiste de la Meuse, reparaît le jeudi, 20 août 1914. il durera jusqu’à l’évacuation de Verdun en février 1916.

Je veux dire quelques mots de ce journal et de son Directeur : C’est un Frémont de guerre qui se découvre, un journaliste de la patrie en danger. Le polémiste ardent, le rédacteur d’opposition irréductible fait place à un simple [Ndlr page c2p22] français, n’ayant plus qu’une haine : le boche. La mort de son fils aîné, soldat au fort de Troyon, ensevelit sous les ruines inviolées, lui insuffle l’âme des grands révolutionnaires. Il fera avec sa plume une œuvre de réconfort et -aux heures pénibles- de belles vaillances.

M. Frémont à servi Verdun. Je devais le citer.

Le martyrs de Rouvres (1914-1915)

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[Ndlr page c2p23] Le lieutenant Deshages du 122e d’Infanterie français a saisi en Prusse, à Sarrelouis, au 30e d’Infanterie boche – faisant partie de la 33. Division – qui, les 23 et 24 août 1914, attaquait Verdun en direction ConflansÉtain, des documents officiels les plus écrasant sur le crime de Rouvres. Ceux-ci attestent la fourberie et l’abominable cruauté du boche. Sous la calme apparence de phrases d’un rapport militaire, c’est toute l’horreur du pillage, de l’incendie, de l’assassinat par ordre.

Pièces jointes concernant lettre Quartier Général Est du 24, 12, 14, concernant pillage etc. de Rouvres.

Au cas où Rouvres aurait fait partie du théâtre de la bataille du XVI Armeekorps [Ndlr : Corps d’Armée allemand] il y aurait à rendre compte par quelles troupes, sur quels ordres et pour quel motif le fait c’est produit, si des maisons ont été pillées, si des habitants ont été fusillés et si un colonel, dont le régiment a participé à la bataille de RouvresÉtain, a été fait prisonnier par les Français.

Au cas où des unités du XVI AK ne seraient pas en question, la lettre avec les pièces jointes serait à envoyer à la 33.Reserve-Division.

Signé: V. BIEBERSTEIN. 7.1.15

 

Télégramme de Brainville

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2

55

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a 8. Bayerisch Infanterie-Brigage [Ndlr : Brigade d’infanterie Bavaroise]

1

30

2

a 66. Reserve-Infanterie-Brigade [Ndlr : Brigade d’infanterie de réserve]

1

20

3

a Commandant Artillerie Lourde

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05

4

Insp. Artillerie de Campagne

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15

5

Reserve-Husaren-Regiment Nr. 2 [Ndlr : Régiment de Hussard de réserve]

Pendant la bataille de Rouvres le 23, 8, 14, on a tiré des maisons de la localité en guet-apens sur les troupes allemandes massées dans les rues. Pour avoir les documents nécessaires pour un compte rendu, toutes les troupes qui ont été témoins oculaires de la bagarre, devront être entendues ; rapport doit être fait à la Division Il y aura lieu d’indiquer quelles compagnies ont eu l’ordre d’incendier Rouvres et de quelle façon l’ordre a été exécuté.

33. Division

 

 

 

33. Reserve-Division
1 à 363.

PROJET

Quartier Division de Brainville, 1, 2, 1915.

Le 24, 8, 14, la 33. Reserve-Division (Réserve Principale de Metz) a reçu l’ordre d’attaquer l’aile droite de la D.I. [Ndlr Division d’Infanterie française] française, se tenant derrière le ruisseau d’Othain .

La D.I. partant de Conflans se mit en marche en deux colonnes en direction générale de Rouvres.

La 66. Reserve-Infanterie-Brigade avec aile gauche sur Rouvres.

La 8. Bayerische Infanterie-Brigade suivit à gauche, en échelon en arrière, à côté de la sortie sud de Rouvres.

La 66. Brigade traversa Rouvres sans combat, à 1 km nord-est de Rouvres environ elle entra en contact avec l’infanterie ennemie, occupant les bois au nord-ouest de Rouvres. À Rouvres même, il n’a pas été rencontré de troupes françaises.

A 2 heures de l’après midi, les (Ersatz-Abteilung) groupes d’artillerie de campagne du 33 et 69 [Ndlr : dans le texte 60] étaient en position au nord-ouest au nord de Rouvres, tandis que le groupe d’artillerie de campagne du 70 ainsi qu’un bataillon du Reserve-Infanterie-Regiment Nr. 130 [Ndlr : Infanterie de Réserve] ; et le train de combat des II. et III. Bataillons du 130 et les voitures de la compagnie de mitrailleuses du 130 stationnaient à Rouvres.

[Ndlr page c2p24] Les routes du village étaient encombrées.de voitures et de chevaux. L’État-major se trouvait à ce moment à la sortie de Lanhères et observait lorsque soudain des voitures et des cavaliers sortirent en désordre de Rouvres. Un officier d’État-major qui de suite se porta a l’endroit, constata que dans le village, une attaque avant été dirigée sur les troupes qui stationnaient.

L’audition des témoins, dont la déposition ne varie que sur l’heure et quelques détails insignifiants, ce qui est compréhensible, avec la panique qui s’est produite, a donné le tableau suivant.

Dans les rues du village stationnaient deux batteries du groupe d’artillerie du 70, les voitures de la compagnie de mitrailleuses du 130, le 1er bataillon du 130, quelques patrouilles de hussards ainsi que quelques isolés. L’amabilité des habitants vis-à-vis de la troupe était frappante. Les femmes et les enfants distribuaient des rafraichissements. On ne voyait que des rares habitants masculins, les femmes avaient l’air très énervées.

Soudain on entendit tirer à la sortie nord du village. Le lieutenant Muller (2e, Bataillon, groupe d’artillerie de campagne du 70) reçut une balle dans le genou. Comme un signal donné une fusillade générale éclata; les femmes et les enfants se précipitèrent dans les maisons et fermèrent les portes.

Pendant qu’elle distribuait de l’eau, une femme sortit de son tablier un revolver et tira (déposition du témoin mousquetaire Dupmail de la compagnie de mitrailleuses, du 130) elle fut tuée à coups de baïonnette par un soldat.

De même, un civil sortit un révolver de derrière son dos et tua un soldat ; il a été tué à son tour. (Déposition du Mousquetaire Houpert).

De nombreuses dépositions affirmèrent que les troupes ont été soumises à un feu violent, venant des toits, des fenêtres et des vasistas, Dans quelques cas seulement le tireur a pu être aperçu.

Il n’a pas été remarqué de troupes Françaises dans le village, toutefois quelques hommes pensent avoir reconnu des soldats français. Il ne peut s’agir que d’isolés.

Il se produisit un désordre général. On essaya de sortir les chariots hors du village, ce qui n’était possible qu’en partie, car des chevaux tués et des voitures renversées encombrèrent la route.

Quelques pièces d’artillerie du groupe d’artillerie de campagne 70 ont été pointées sur des maisons, et ont fait feu.

Lorsque le désordre général fut apaisé, quelques troupes, conduites par leur chef et des détachements conduits par les sous-officiers, pénétrèrent de nouveau dans la localité pour sauver les voitures et les chevaux qui s’y trouvaient et pour maîtriser les francs-tireurs. Beaucoup de témoins ont vu à cette occasion des hommes et des femmes armés en train de tirer des jardins et des maisons sur nos troupes. Ils ont été anéantis ou appréhendés.

Dans les maisons barricadées il a été trouvé des douilles de chasse et des armes.

Les dépositions contre les tireurs et les habitants armés (hommes, femmes et garçonnets) sont si nombreuses et concordantes, qu’il ne peut exister aucun doute a ce sujet. On ne peut admettre qu’une influence ait été exercée sur les hommes pour leur suggérer les dépositions, car les témoins appartiennent à plusieurs corps différents et la plupart ne se sont plus revus après les faits. Comme document ont trouve encore dans les dossiers de division un rapport du capitaine Freiherm von Maerken, Reserve-Husaren-Regiment Nr. 2, du 24. 8. 14 expédié 3 h.2O après midi, 200 mètres au sud de Rouvres, dont le texte est le suivant.

Je rends compte que j’ai vu de mes propres yeux, les habitants de Rouvres tirer par les fenêtres et les soupiraux sur nos troupes et nos chariots étroitement massés dans les rues.

Rouvres mérite le même sort que Nomeny.

De tout cela il ressort avec assez de certitude, qu’il s’agit d’une attaque organisée contre les troupes Allemandes. Il parait que les habitants de Rouvres ont été excités par les troupes françaises qui se trouvaient un peu en avant de Rouvres.

Le premier incendie est dû sans doute au feu de nos canons. Peu après, sur l’ordre de quelques officiers, beaucoup de maisons ont été incendiées, pour empêcher les habitants de nuire. Par la sécheresse qui régnait, le feu se répandit rapidement sur toute la localité. Entre temps l’état-major [Ndlr : page c2p25] s’est rendu (de la division) sur la cote 227, au sud-est de Rouvres. On entendit sans cesse retentir des coups de feu, pendant que la plupart des maisons étaient déjà en flammes.

Je n’ai donné aucun ordre d’incendier. Il n’y avait pas le temps de faire une enquête ; car à proximité du village la bataille battait encore son plein. Étant donné les circonstances, la sanction prise contre la tenue scélérate des habitants a rencontre mon entière approbation.

Lorsque plus tard d’autres rapports m’apprirent qu’on tirait toujours dans le village, j’ai donné l’ordre au Reserve-Husaren-Regiment Nr. 2 de fusiller tous les habitants masculins.

Signé : Bausch. [Ndlr : Karl-Wilhelm Bausch général 33. Reserve-Division allemande]

Déposition de témoins dans l’affaire de Rouvres

4eme Régiment Bavarois

7/4 Soldat Forster. Reçu vers 14 heures, coups de feu de Rouvres; a vu personnellement civils cachés derrière mur de jardin, tirant. Également, 4 civils de 40 à 60 ans pistolets en mains, l’un d’eux devait être le Maire. Plus loin dans la localité, des femmes ont tiré des maisons. Il se rappelle avec sûreté avoir vu une vieille femme tirer d’une maison et blesser un sergent-major. La femme a reçu un coup de fusil dans le ventre et transportée par des brancardiers.

Kappel et Fickert ont reçu vers 8 heures du soir 10 à 15 coups de feu ; un brancardier tua l’homme âgé à peu près de 45 ans, revolver en main.

8/4, Bernhardt. À 9 heures du soir en allant chercher de l’eau dans une cave, a vu tirer d’un toit. Trouvé femme et deux enfants, ont été sortis et sur ordre d’officier de hussard incendié la maison ; a vu un soldat français.

Lieut. Helbrecht a vu un homme de 60 ans et une jeune fille mettre en joue, là-dessus elle a été tuée par un fantassin.

Gefreite Meus et Fantassin Kuhn, disent qu’un capitaine aurait fait tuer les habitants et aurait donné l’ordre d’incendier les maisons, nous avons participé à l’incendie avec des canonniers.

Lieut. Ostersette, Reserve-Infanterie-Regiment Nr. 130, prétend avoir mis le feu au village.

Res. Erdt. 1/130 a reçu l’ordre d’un officier hussard d’incendier les maisons.

Musquetier Deupman, compagnie de mitrailleuses du 130 a vu une femme sortant un couteau qu’elle passa à un artilleur, puis sortant un revolver qu’elle cachait derrière son dos lui tira dessus ; elle a été tuée à coups de baïonnette.

Houpert Compagnie de mitrailleuses 130 a vu un civil cachant un revolver derrière son dos a été tué.

Canonnier Steinhardt 1/33 Artillerie a vu un civil de 40 ans sortir en courant de sa maison avec un fusil et tirant sur nos postes. Egalement une femme avec un enfant sur les genoux tire sur nous.

Arnt a vu tirer des maisons, un vieil homme entre 50 et 60 ans faire le coup de feu de derrière un mur, a été fusillé. Bon nombre d’habitants ont tiré ; une femme avec un enfant, tirant avec un revolver a été fusillée.

 

L’autorité militaire allemande a provoqué ces déclarations pour justifier la barbarie des ordres donnés et couvrir les troupes qui les ont exécutés.

Et si même des habitants de Rouvres avaient pris les armes pour défendre la Patrie envahie, serait-ce suffisant pour légitimer une répression sauvage, le massacre de vieillards, de femmes et d’enfants et l’incendie des immeubles ?

Et d’abord peut on imaginer qu’une population de village surprise par l’invasion se soit concertée pour tendre à toute une armée cette sorte de piège que relève ce général Bausch ?

Voyez-vous ces femmes et ces enfants, pour donner le change, faire preuve d’amabilité et distribuer des rafraîchissements, puis soudain, « comme a [Ndlr : page c2p26] un signal donné ? Tirer de toute part sur l’ennemi désarmé par l’accueil qui lui était fait ?

Quelle misérable explication !

Mais rétablissons les faits :

Depuis le 14 ou le 15 août vingt chasseurs à cheval, en grand-garde, cantonnent à Rouvres dans les écuries de M. Willaume, Maire de la localité. Chaque jour ils effectuent des reconnaissances. Une fois trois d’entre eux le maréchal des logis Gauthier et les cavaliers Mercier et Bonefoy, aperçoivent, en direction de Norroy-le-Sec trente dragons du 26e ennemi. Ceux-ci se divisent en deux groupes, en vue de cerner nos trois chasseurs, Arrivés à la distance d’un kilomètre environ les dragons descendent de cheval et font feu sans résultat. Nos chasseurs mettent pied à terre à leur tour. Le chasseur Mercier épaule sa carabine et à deux reprises abat un Allemand. Trois autres, sous le feu des nôtres tombent également. Et alors nos trois chasseurs se remettent en selle chargent sur l’ennemi qui fait demi tour et bat en retraite. Fiers de leur exploits chasseurs français ramènent deux prisonniers et arrivent à Rouvres à 7 heures du soir reçoivent les félicitations et de leur officier et de la population. Les trois hommes furent cités a l’ordre du jour et décorés,

Dès cet incident connu par le Général Rauch [Ndlr : Bausch] commandant la Division de réserve allemande, la commune de Rouvres était condamnée.

Le 24 août, les troupes allemandes cernent le village, pénètrent dans des maisons pour s’assurer qu’il n’y avait pas de soldats français puis le bombardent et allument des incendies. Les habitants effrayés se réfugient dans les caves et ceux qui tentent de s’enfuir vers la ville d’Étain sont impitoyablement fusillés. Et de nouveau les boches fouillent les maisons en sortent à coups de crosses vieillards, femmes et enfants qui, pour la plupart sont passés par les armes.

Après le massacre le feu est mis aux immeubles à l’aide de pastilles incendiaires. Des voitures de bidons de pétrole permettaient à des soldats, porteurs d’appareils semblables à ceux dont se servent les vignerons pour sulfater la vigne de se ravitailler et de multiplier les foyers. Deux maisons seulement furent épargnées, celle de M, Robinet, Constant, qui servit peu après de quartier général au prince Oscar de Prusse et celle de M. Berton, Hubert.

Trente trois hommes furent victimes de ce carnage et quatre femmes ; mademoiselle Petitjean, Alice, âgée de 10 ans, eut le nez traversé par une balle : M. Haros, Eugène, attaché à la gueule d’un canon, reçut un coup de sable à la tête.

Des femmes et des enfants furent refoulés ensuite sur Briey puis rapatriés en France.

Pas un civil ne possédait une arme à feu lorsque les troupes allemandes ont fait irruption dans la commune de Rouvres et l’attestation de M. Julien [Ndlr Julien Emile] qui était alors instituteur et qui dans ce massacre a été blessé puis soigné à l’ambulance de Lanhères est suffisante pour établir que le crime avait bien été prémédité.

Parmi les assassins se trouvait un nommé Boisselet, médecin militaire de réserve, installé comme médecin à Metz [Ndlr : Probablement il s’agit du docteur Jean Boisselet qui aurait tenté de se racheter durant la deuxième guerre mondiale]. Celui-ci s’est vanté d’avoir fusillé une femme et son enfant, parce que cette femme avait tiré sur lui. Après la guerre Boisselet qui exerce encore à Metz a été dénoncé par le curé de Rouvres devant lequel il s’était vanté de son crime. Déféré devant les tribunaux de Metz, et malgré les témoignages accablants, il a été acquitté.

 

 

 

J’ai personnellement recueilli un petit enfant de Rouvres échappé du massacre. Ma femme l’a adopté.

A quelques jours de là, comme cet enfant jouait dans le parc de la Sous-Préfecture avec d’autres petits êtres également séparés de leurs parents, une femme à demi folle se présente à mon Cabinet. Elle a pu s’échapper de Rouvres et depuis lors recherche un enfant qu’elle a perdu au milieu du massacre. Par la fenêtre ouverte Je lui montre mes pensionnaires. Elle pousse un cri; elle a reconnu son enfant, Celui-ci est bientôt dans ses bras et tandis que la mère le couvre de baisers l’enfant se débat pour retourner à ses jeux.

Le Reflux des Populations – 1914

[Ndlr : page c2p27] La cohue lamentable des populations, refluant devant l’invasion, et les nouvelles tragiques qu’elles sèment sur leur passage donnent aux communiqués leur traduction véritable. Avec le concours de la garde-civique, nous les accueillons aux portes de la Cité. Elles sont réconfortées, nourries, embarquées avec ménagement, malgré la nervosité des Commissaires militaires de gares qui « déplorent l’envahissement des civils ». Les pauvres gens nous content les souffrances qu’ils ont subies pendant les étapes de retraite, souvent en plein champ de bataille, jetés dans les champs par artillerie en marche et les convois de ravitaillement.

Cette affluence sur les routes, ces voitures surchargées, flanquées de vieillards, de malades et de petits enfants, le bétail qui se trains en pagaie derrière ces convois, inquiète l’autorité militaire. L’encombrement constitue un péril . Je reçois des ordres : Les fugitif doivent être dirigés sur Bar-le-Duc ou Sainte Menehould à destination de Sens. Par contre les habitants qui n’ont pas été évacués du camp retranché et des localités limitrophes, pour ne pas grossir le nombre des évacués seront tenus quoiqu’il arrive de demeurer dans leur commune respective. L’instruction est cruelle, mais les nécessités militaires y contraignent. Le 30 août j’adresse à tous les Maires les instructions suivantes que je m’efforce de faire exécuter en me déplaçant sans répits.

« M. le Maire,

« Je vous prie instamment de mettre en garde la population de votre commune contre tout mouvement de panique; opposez-vous de toute votre énergie à la diffusion de nouvelles qui ne sont.basées sur aucun fait….

Veuillez accueillir fraternellement nos compatriotes qui ont du quitter leur commune à proximité des champs de bataille; après les avoir alimentés facilitez leur départ sur l’arrière en direction de Sainte Menehould où ils doivent prendre le train pour Sens (Yonne). Par ordre militaire la gendarmerie doit refouler sur leur commune respective les habitants des cantons de Clermont, Varennes et Souilly qui, alarmés à tort, auraient pris, dans un mouvement de faiblesse, le parti d’abandonner leur village, c’est-à-dire leur poste.

[Ndlr : page c2p28] Il faut que l’on sache, et répétez-le, que la cause de la civilisation et du droit sera triomphante. nous saurons mériter la victoire par la bravoure de nos troupes et le sang-froid des non-combattants. Soyez dans la commune celui vers qui se tournent tous les regards pour acquérir une confiance dans le succès final… »

 

 

 

Relisant plus tard cette lettre aux Maires, cette lettre qui contenait les instructions que j’avais reçues, J’ai du me remémorer les circonstances qui avaient imposé sa rédaction hâtive pour m’excuser envers moi-même de l’avoir écrite : l’invasion de la route, arrêtant l’évolution rapide des troupes, l’impression pénible pour les soldats à la vue de femmes et d’enfants se trainant lamentablement, la crainte justifiée du Général Gouverneur devant l’envahissement des localités du camp retranché, ma crainte à moi de ne pouvoir en cas de siège ni les protéger, ni les nourrir, et de les savoir infailliblement abandonnés entre les feux des forts et les feux de l’ennemi.

Il est des moments où le devoir est plus impérieux que la pitié!

Et du reste n’apprenons-nous pas, le 1er septembre, que « Nos alliés anglais, attaqués par un ennemi très supérieur en nombre, dans la région de Catau et Cambrai ont du se replier vers le Sud au moment où nos troupes opéraient dans la région d’Avesnes et de Chimay. Le mouvement de recul s’est prolongé dans les journées suivantes; avant-hier une bataille générale s’est engagée dans la région de St Quentin et de Vervins, en même temps que dans la région de Ham, Péronne. »

Nous avons bien rejeté la garde prussienne et le 10e Corps [Ndlr Xe C.A.] dans l’Oise. Mais « nous avons du marquer un nouveau mouvement de recul ». Le communiqué parle « d’échecs incontestables et de pertes considérables. »

 

 

Le 31 août [Ndlr 1914], un avion boche lance deux bombes sur Verdun. Quelques dégâts sur une maison près du pont de la Galavaude.

 

 

Au début de septembre, l’évacuation des bouches inutiles est terminée pour la ville. Cela n’a pas été sans difficultés. Il y eut des résistances : c’est ainsi que M. Willemin, Sous-Chef de la garde-civique a dû rouler dans une couverture et la ficeler, une femme qui, pour ne pas obéir à l’ordre de départ, s’était mise nue dans son lit!

La désignation de gens, d’une utilité contestable, qui ont été autorisés à rester, soulève des colères contre la Mairie. Je m’efforce de les apaiser par l’avis suivant :

« Le Sous-Préfet vient d’être informé que des Secrétaires de la Mairie de Verdun, out été injuriés et même menacés par des personnes mécontentes d’avoir vu figurer leur nom sur les listes d’évacuation.

Or, rien ne justifie la vivacité de ces protestations, car la liste générale d’évacuation a été dressée par l’autorité militaire ; les cinq bureaux de quartier qui du reste ont fonctionné sans personnel municipal, n’ont été chargés que de dresser les ordres d’embarquement, en maintenant à Verdun les personnes utiles à la défense, au ravitaillement ou employés dans les services civils et militaires.

Seule la dernière liste, des 29 et 30 août, a été dressée par les bureaux de la Mairie, mais elle a été établie sous la direction du Maire, d’après les instructions de l’autorité militaire et il a été tenu compte de toutes les réclamations reconnues justifiées »