Jean Grillon – Sous-Préfet de Verdun – 1914-1918 – Partie 5

La 3e Armée

[Ndlr : page c2p29] Le 6eCorps, commandé par le Général Sarrail, en couverture dès le 31 Juillet [Ndlr 1914] entre Meuse et Moselle, assure la concentration de la 3e Armée.

La 3e Armée, ayant comme chef le Général Ruffey, encadrée par la 2e à l’Est et la 4e à l’Ouest, comprend au début les 4e, 5e Corps à composition normale, le 6eCorps à 3 divisions, la 7e division de cavalerie, les 54e, 55e, 56e divisions de réserve, 3 batteries de 155 court à tir rapide, 3 batteries de 120 court et 11 batteries de 120 long.

La concentration se fait sans à coups, sans attaque de la part de l’ennemi, l’armée s’établissant sur le front Flabas, Ornes, Vigneulles, Saint-Baussant, prête à agir dans la direction du Nord, l’aile gauche marchant sur Damvillers, ou à contre-attaquer toutes les forces qui déboucheraient de Metz. (Instruction Générale N° I, 8 août, 7 heures, Dossier G.Q.G. N° 3).

Le 5 Août le Q.G. de la 3e Armée, avec le Général Grossetti, comme chef d’État-Major s’installe à Clermont-en-Argonne.

Le 6 Août, 16e bataillon de chasseurs est attaqué à Labry,

Le 8 Août, 18e bataillon est attaqué par des forces supérieures à Spincourt et se replie sur Mangiennes.

Le 9 Août le Q.G. du général Ruffey se transporte à Verdun et prend possession des locaux du collège Buvignier donnant sur les fortifications, la façade principale étant occupée par l’hôpital des Femmes de France.

Le 10 Août deux bataillons du 130e d‘Infanterie rassemblés pour la halte devant Mangiennes et sans être couverts sont subitement bombardés par obus. Ils chargent à la baïonnette sur les mitrailleuses allemandes. 500 hommes dont 100 tués hors de combat,

Le 16, à 14 h.25, l’ordre particulier n° 11, (dossier G.Q.G. – Instructions particulières N° 209) constitue sous les ordres du général P. Durand [Ndlr : Paul Durand], relevant d’ailleurs de la 3e Armée, un groupement composé du 3e groupe de division de réserve et de la 67e division de réserve.

« La mission du groupement de forces du général Durand sera de commencer l’investissement du front Sud-Ouest de Metz d’une manière très progressive et d’arrêter sur les positions organisées entre Toul et Verdun toute tentative de l’ennemi visant la rupture du front. »

À la même heure, 1’instruction particulière N° 12 (Dossier G.Q.G. Instructions particulières N° 210) s’exprimait ainsi:

« La 3e Armée laissant face à Metz le groupement de forces aux ordres de M. le Général Durand, s’établira sur le front JametzÉtain, prête à déboucher en direction générale de Longwy avec ses 4e et 5e Corps et deux divisions du 6eCorps. Provisoirement une division du 6eCorps sera maintenue en garde-flanc à droite face à Conflans et Briey. »

Le 19, l’Armée de Lorraine, sous les ordres du Général Maunoury, est constituée. Elle comprend le groupement Paul Durand et en plus les 65e et 75e divisions de réserve, soit 6 divisions. Sa mission est de masquer Metz. (Ordre particulier N° 14 dossier G.Q.G. Instructions Particulières)

La 3e Armée n’a plus que 5 corps.

L’ordre d’offensive

Le 20 Août [Ndlr 1914], à 20 h. 30 le G.Q.G. donne l’ordre d’attaquer (dossier G.Q.G. N° 265, instructions particulières):

« La 3e Armée commencera dès demain 21 août son mouvement offensif en direction générale d’Anoux [Ndlr :noté Arlou]. Elle portera la tête de ses deux corps de gauche sur Virzon [Ndlr :?] et Tellancourt où ils s’installeront, Son corps de droite sera en échelon refusé, ayant sa tête à Beuveille. La mission de la 3e Armée sera de contre-attaquer toute force ennemie qui chercherait à gagner le franc-droit de la 4e Armée. Dans son mouvement général elle sera prête à s’engager face à l’Est s’il était nécessaire. »

Les populations dans la tourmente

[Ndlr : page c2p30] Le 21 [août 1914] l’Armée s’est mise en marche. Les 22 et 23 des bruits sinistres circulent ; nos régiments avançant en colonne de route et surpris dans le brouillard auraient été décimés par l’artillerie et les mitrailleuses. Ce serait la retraite après de folles attaques à la baïonnette.

Le 22 août les populations d’Audun-le-Roman, de Mercy-le-Haut, Landres, Piennes, refoulent sur Étain, relatant sur leur passage les horreurs et les crimes commis par l’ennemi.

Puis ce sont, le 24, les habitants de Spincourt, d’Étain, de Senon, d’Ansal [Ndlr : ?], de Rouvres qui déferlent sur la ville. On se bat dans les rues de Spincourt ; les boches viennent d’incendier Rouvres et de massacrer nombre de civils.

 

 

Les fuyard de Rouvres que j’interroge sont encore sous une impression de terreur : les boches, pour jeter la démoralisation et provoquer des défaillances parmi les hommes mobilisés de nos villages frontières ne reculent pas devant un effroyable crime.

Le prétexte est trouvé : nos chasseurs à cheval, cantonnant à Rouvres, ayant, au cours d’une reconnaissance, tué des cavaliers ennemis, le village sera détruit et les habitants passés par les armes.

Et pour expliquer cette barbarie, les chefs allemands accuseront nos paysans d’avoir tiré sur leurs soldats, désarmés par un accueil trompeur.

L’auteur de cette tuerie préméditée, ordonnée, est le général Bausch, commandant de la 33. Reserve-Division de Metz.

La retraite

[Ndlr : page c2p31] L’ordre de retraite donné au Général Commandant la 3e Armée est formel. Le communiqué du 2 septembre [Ndlr 1914] ne fait-il pas l’aveu que les Allemands marchent vers la forêt de Compiègne ; la cavalerie ennemie pousse jusqu’à la ligne Soissons à Lizzy-le-Chateau. Et il est question du Général Gallieni qui conduit avec activité les travaux de défense du corps retranché . Et le 3 on est officiellement informé du départ du Gouvernement pour Bordeaux..

La 3e Armée qui est au pivot  ne peut pas ne pas céder sur la charnière puisque le centre et l’aile gauche de nos armées reculent en direction du camp retranché de Paris.

Dans son mouvement en charnière, la 3e Armée tourne le dos à la vallée de la Meuse, en amont de Verdun, et par conséquent à la frontière, derrière laquelle se dresse le formidable camp retranché de Metz. Et pour protéger ses derrières contre une attaque possible, il n’existe que trois ouvrages isolés et mal armés, les forts de Génicourt, de Troyon et de Paroches, qui comment les passages des Hauts-de-Meuse et qui ne sont reliés entr’eux par aucune forme mobile d’infanterie.

La 3e Armée va donc, dans ces conditions , entreprendre une manœuvre d’une rare audace qui permet d’affirmer que, supérieurement conduite, la 3e Armée a largement contribué à donner la victoire. [Ndlr page c2p32 vide]

L’Investissement se Dessine

Mesures ultimes

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[Ndlr : page c2p33] À peine rentré de mes randonnées, je reçois la visite de M. le colonel Nayral de Bourgon, chef d’Etat-Major du Général Gouverneur. Il vient s’entretenir avec le Sous-Préfet de la situation qui est grave. Et tout d’abord il me conseille de faire partir ma femme et ma petite fille, âgée de deux ans. Il me donne 1’assurance qu’elles pourront encore atteindre l’arrière, Cette parole m’en dit plus que les communiqués alambiqués du G.Q.G.. Je réponds que pour maintenir la confiance il est indispensable que ma femme reste à mes côtés. Le Colonel, me laissant entrevoir les risques redoutables du siège inévitable insiste avec force. Mais ma décision est prise et du reste ma femme survenant à ce moment,confirme sa volonté.

Le Colonel de Bourgon se tait alors ; mais j’ai vu dans le regard de cet homme, toujours impassible, qu’il approuvait cette attitude.

Il s’entretient alors avec moi de la situation : les nouvelles sont mauvaises; les armées françaises et anglaises reculent sur la Marne. La France est en danger. Verdun ne doit plus compter que sur ses troupes ; les vivres sont limités et s aux soldats de la défense et aux seuls civils réservé expressément autorisés à rester.

Coûte que coûte, il faut évacuer les non-combattants et d’abord les familles qui sont acculées aux glacis de la place.

Il est convenu que las gendarmes refouleront tous ces malheureux sur Maison-Rouge. Là, avec le concours de quelques gendarmes et guidé par les garde forestiers du pays, je tenterai de les acheminer, en empruntant les chemins de la forêt de Souilly, dans la direction de Bar-le-Duc ou de St Mihiel.

Dans la soirée, le cortège se forme. Il s’échelonne sur plusieurs kilomètres. Beaucoup de voitures, de chars à bancs, de bétail. Toutes les misères qui, d’ordinaire, se cachent à l’intérieur des maisons, sont étalées sur la route. Un effroyable tableau se grave à ma mémoire : sur une voiturette, poussée par une femme à cheveux blancs un podagre d’une grosseur démesurée. À ses côtés, une fille folle et un fils aveugle. Et dans le désordre l’impotent rassurait les siens.

Je donne l’ordre de départ. J’ai l’espoir de pouvoir passer par Lemmes et, obliquant à gauche par la maison forestière de Ravigny [Ndlr : lieu non trouvé?]. Mais à notre droite la bataille fait rage. Un gendarme cycliste envoyé en éclaireur revient m!annonçant que l’on se bat dans les environs de Souilly. Des obus ennemis atteindraient la localité.

Le lendemain en effet, le 11 septembre, les boches entraient dans Souilly.

Je n’ai pas le droit de conduire mon pauvre troupeau à la boucherie. Je ne sais rien des opérations. Je prends donc sur moi d’ordonner au convoi de rebrousser chemin et je parque en pleine nuit, sous une pluie battante, gens chevaux, voitures, troupeaux, dans les champs et le bois de Maison-Rouge.

Le lendemain j’aviserai aux mesures à prendre. Pour l’instant je procure des vivres, du pain, du thé et du sucre que mon automobile est allée quérir à Verdun. Le lendemain, 11 septembre, en accord avec l’autorité militaire, Je constitue un train avec tous les wagons de marchandises disponibles, prenant en charge chevaux et bétail qui sont dirigés et sur le dépôt de cavalerie de Bévaux [Ndlr : caserne dans Verdun] et sur l’abattoir militaire.

Dans la soirée du 11 j’embarque toutes les populations qui m’ont été refoulées de Maison Rouge, de Bras, de Charny, de Marre, des faubourgs de Verdun. À Dugny nouveau chargement; à Monthairons j’entasse les réfugiés des communes de la vallée. Il fait nuit noire. Des vivres ont été distribués. La locomotive a tous ses feux éteints. Dans le lointain, la bas, vers l’inconnu, où je vais lancer le train, le canon roule. Un inspecteur de la Compagnie me certifie que la voie est encore intacte; je vais vers le mécanicien et lui dis : « Ce sont vos enfants; je vous les confie; promettez-moi de passer. »

L’homme, un peu rude, me réponds simplement : »Comptez-sur moi »

Je donne le signal; le train s’ébranle et tous les pauvres gens entonnent la Marseillaise.

Toute la nuit je suis demeuré dans l’angoisse. Il m’a semblé que les allemands ont tiré sur le train. Je tente vainement de téléphoner avec Bar-le-Duc ; [Ndlr : page c2p37] le réseau est coupé. Par télégramme je demande qu’on me prévienne de l’arrivée du train. Au petit jour, je suis rassuré ; le convoi est arrivé en gare de Commercy. Les allemands ont bien envoyé des obus ; l’un d’eux a frôlé la locomotive. Mais à présent tous ces pauvres gens sont hors de danger.

[Ndlr : page c2p34] Le 3 septembre, vers 10 heures la population est alertée par une vive fusillade qui part des postes des portes de ville et des casernes. C’est notre dirigeable « Le Fleurus » [Ndlr : Construit en 1912 dans les ateliers aérostatiques de Chalais-Meudon le dirigeable « Fleurus » possède 2 moteurs Clément-Bayard de 4 cylindres à refroidissement par eau de 80 ch pour une vitesse 58 km/h maximum, son rayon d’action et de 700 km, pèse 5,2 t, d’une Longueur de 77 mètres il a un Diamètre de 12,4 m et un volume de gaz de 6.500 m3, il est destiné à la place forte de Verdun.] , qui s’élevant au dessus de la Cité, a été pris pour pour un Zeppelin. Le dirigeable s’efforce de se faire reconnaître par des feux. Mais on a omis d’enseigner à nos soldats la reconnaissance de nos propres signaux.

Je m’aperçois vite de la méprise et morigénant mon chauffeur qui lui même décharge son revolver dans le ciel je me précipite vers la caserne Jeanne d’Arc, voisine de la Sous-Préfecture pour signaler l’erreur commise.

Bientôt les tirs cessent; le dirigeable n’a pas subi d’atteinte irréparable ; il s’éloigne.

Déjà « le Fleurus » était sorti le 22 août et avait circulé entre 9h. 1/2 du soir et 1 heure du matin.