Jean Grillon – Sous-Préfet de Verdun – 1914-1918 – Partie 6

L’Ennemi Refoule les Populations dans le camp retranché

Devant Verdun, face à la Woëvre, l’effort ennemi semble s’apaiser. Par contre, sur les ailes, un mouvement d’enveloppement se dessine. La 3e Armée se replie ; Verdun va être livré à lui-même. Le plan de l’assaillant se dessine : contourner Verdun à revers, l’investir en compliquant les difficultés d’un siège par le refoulement des populations dans l’intérieur du Camp retranché.

Je reçois l’ordre de parer à ce dernier péril. Après conférence avec M. le colonel de Bourgon, chef d’Etat-major, il est convenu que je m’efforcerai d’écouler les populations venues de la Woëvre dans la direction de St Remy. Le projet ne pourra être suivi d’exécution car, à ce même moment, une troupe venant de Metz et se dirigeant sur Troyon est signalée.

Aux portes de ville, les consignes sont formelles : on n’entre plus. C’est alors le refoulement sur les villages ou des milliers de malheureux cherchent parfois vainement un abri. Je suis informé que, sous une lourde pluie qui ruisselle, les réfugiés arrivés à Dugny et à Dieue, campent dans les rues.

À Dugny l’accueil qui est fait aux malheureux laisse plus qu’à désirer. L’égoïsme est parfois féroce. J’ai souvenir qu’une femme avait : refusé l’entrée de sa grange à plusieurs familles qui, le soir venu, pour s’abriter s’étaient adossées au mur de la rue. La porte cochère est barricadée. Je veux la faire ouvrir; je frappe en vain et, contournant la maison j’y pénètre par derrière et me trouve en présence d’une mégère armée d’une fourche. Sans discuter, je m’empare de son arme, la brise et malgré les cris de la dame, j’ouvre toute grande la grange et y installe mes gens.

Plus loin c’est la cohue. Je veux camper toute une foule dans l’église. Celle-ci est fermée à clef; je dois menacer d’en enfoncer la porte à coups de hache pour que l’on daigne m’ouvrir? Et je dis à mon troupeau qui me suit : « Installez-vous ici; la maison du bon Dieu appartient aux malheureux. »

Dans le bourg de Dieue des voituriers des Ardennes, réquisitionnées par nos troupes battant en retraite, sont venus échouer dans la rue principale avec leur attelages complètement fourbus. Les portes d’écuries se sont fermées sur eux. J’avise l’une d’elle, l’ouvre d’autorité et malgré les protestations d’un individu que j’apprends être le notaire de l’endroit, j’y abrite hommes et chevaux. Le notaire devra fournir le vivre et le couvert aux animaux. Deux ans après on me réclame encore le prix du fourrage consommé.

Les faits de cette nature surabondent. Mais, devant la multiplicité des événements auxquels il me faut faire face, à peine réglés, je les oublie.

 

Le 8 septembre les premiers obus tombèrent sur le village d’Ornes. Je reçois l’ordre d’en évacuer les 75 derniers habitants.

[Ndlr c2p35]

Le fort de Troyon

Elle est grandiose, elle est émouvante au suprême chef, l’histoire du fort de Troyon. Mais cette page de guerre est-elle seulement connue du grand public?

L’ouvrage de Troyon isolé insuffisamment armé, avait une mission redoutable : interdire à l’envahisseur le passage des cols des Hauts-de-Meuse et de la vallée de la Meuse.

La garnison, commandée par un admirable officier, le capitaine Heym et composée d’une compagnie du 166e d’Infanterie et du détachement de la 12e batterie du 5e d’artillerie à pied, a été tout simplement héroïque.

Le Général Coutanceau, Gouverneur du Camp retranché, apprenant dans la soirée du 7 septembre qu’une colonne et demi accompagnée d’artillerie, venant de Metz, s’avançait vers St Remy, donne l’ordre téléphonique de tenir coute que coute. « Nous tiendrons » répondit le capitaine Heym, se faisant l’écho de tous ses hommes.

Ils tinrent en effet, sous un bombardement d’enfer, permettant ainsi au Général Sarrail, Commandant la 3e Armée, de concentrer toutes ses forces pour résister à la ruée des corps d’armée du Kronprinz et sauvèrent Verdun de l’encerclement.

Dans une lettre, adressée à M. Frémont, Directeur du Bulletin Meusien et publiée dans ce journal le 26 décembre 1920, le Général Coutanceau donne sur la conduite des défenseurs de Troyon le témoignage suivant : « Si le fort avait cédé, la 3e Armée qui, le 8 septembre, occupait le front Vassincourt-Sommaisne- Souilly et, le 9, le front Vassincourt-Sommaisne-Issoncourt et ne pouvait plus que diriger, face à Troyon, sa division de cavalerie eut été obligée de replier tout au moins sa droite vers le sud, et Verdun eût été forcément investie..…

« La résistance de la garnison du fort de Troyon eut donc un résultat considérable et la gloire de sa garnison est éclatante. On peut dire d’elle ce que Bonaparte disait de la République : Elle est comme le Soleil; aveugle qui ne la voit pas! »

Ceux qui ont été les témoins les plus proches de la résistance de cet ilot perdu, ceux qui ont pu visiter le for t sitôt après les bombardements, ont raison de placer la défense de Troyon parmi les faits d’arme les plus illustres de la grande guerre.

Que de forts modernes, de grande envergure, dont ont attendait des décisions essentielles, ont succombé sans donner l’impression seulement d’une résistance de leur propre masse! Troyon , simple fort d’arrêt, sans autre appui que la volonté de ses défenseurs, démons parmi des ruines, a bien mérité de la Patrie.

 

Le 7 septembre au soir, l’ennemi pénètre dans St Remy et Mouilly. Le 8 au matin il occupe Seuzey et des obusiers de 150 déversent sur le fort une pluie d’obus. Sept de nos pièces sont bientôt hors de services. Les autres tentent vainement de riposter; leur emplacement est intenable. A l’exception des guetteurs, tous les hommes sont dans les casemates.

Dans la journée du 8, le Général Coutanceau commande de tenir encore 48 heures. Sur la rive gauche, sous la pression de la 3e Armée, les légions du Kronprinz [Ndlr 5e Armée allemande] commencent à céder, et la Cavalerie du Général Sarrail, qui se trouve devant la forêt des trois Fontaines, est envoyée sans débrider vers la Meuse pour essayer de faire illusion à l’ennemi, car nous n’avons plus de réserves.

Les forts de Génicourt et des Paroches s’efforcent de balayer à revers les troupes et les batteries boches. Leur action est vaine car les obusiers allemands sont terrés dans des ravins.

A 17 heures 15 le fort a déjà. reçu près de 460 obus de 150.

Le Général Coutanceau renouvelle ses ordres suprêmes. Toute la garnison doit être mise à l’abri, au besoin dans les magasins-cavernes. De la résistance dépend le succès de nos armées qui progressent sur la rive gauche et qui tournent le dos au Fort de Troyon. La chute du fort serait un désastre.

Heym répond à la française. Il tiendra 15 jours s’il le faut.

[Ndlr c2p36]

A classer

 

Il a reçu l’ordre de tenir ses troupes de 10km en retrait de la frontière. Mais ses dispositions étaient bien arrêtées ses avant-postes demeurèrent à 4km. Le général reçoit la visite du Capitaine Priou qui avant la guerre faisait partie du 2ème bureau. Vient-il de la part du Généralissime ou de l’Etat major ? Il a mission de demander une prise de contact avec les éléments ennemis qui pénètrent sur le territoire français. L’instruction qui est verbale n’est pas exécutée. Mais d’autres incidents d’avant postes ont eu lieu devant Nancy et dans les Vosges. N’ont-ils pas été consécutifs à des interventions analogues à celle du capitaine Priou ?